Laurent Scheyer est directeur de l’écologie à la DREAL Occitanie. Il nous partage son expérience sur l’aménagement du territoire et les enjeux associés à la biodiversité, ainsi que son intérêt pour AdNatura.
« Nous avons du mal à convaincre sur l’enjeu de l’érosion de la biodiversité »
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis directeur de l’écologie à la DREAL Occitanie et je dirige une équipe de 81 agents entre Toulouse et Montpellier. Nous sommes en charge de mettre en œuvre les politiques sur la gestion quantitative et qualitative de l’eau et sur la biodiversité. Cela passe par la déclinaison des schéma directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), les plans nationaux d’actions pour les espèces à enjeux (PNA), les demandes de dérogations de destructions d’espèces protégées, le laboratoire d’hydrobiologie, la police de l’eau… Auparavant, j’étais directeur adjoint du parc national du Mercantour pendant 6 ans.
Pourquoi la DREAL est partenaire d’AdNatura et quelles sont vos attentes dans ce salon ?
À mes yeux, ce salon est important pour les étudiants, mais aussi pour tout l’écosystème professionnel de l’écologie. Par ailleurs, la thématique de cette année sur les sols vivants me semble très pertinente. Nous avons du mal à convaincre sur l’enjeu de l’érosion de la biodiversité. J’y suis confronté tous les jours avec l’instruction des dossiers de demande de dérogation de destruction d’espèces protégées. Mon équipe et moi sommes obligés de nous battre pour mettre en avant la nécessité d’éviter et de réduire les impacts liés aux projets d’aménagement…nous devons à chaque fois convaincre au plus haut niveau que ce soit les élus ou encore les chefs d’entreprises qui exercent une forte pression. Donc au final, certaines décisions sont prises dans une logique économique au détriment de la biodiversité. On peut comprendre qu’il y ait un équilibre à trouver, mais ce juste équilibre s’appuie sur la connaissance des enjeux et la sensibilisation de la société civile. Et souvent la biodiversité n’est pas suffisamment considérée et connue à mon sens.
Le salon peut donc promouvoir l’importance de la biodiversité rare et ordinaire. Il faut aussi une prise de conscience de l’importance de la vie des sols qui est encore un peu inconnue du grand public. Cette connaissance est pourtant primordiale pour convaincre à la nécessité de se diriger vers de l’agroécologie et des cultures ayant besoin de moins d’eau et de traitements. Nous avons aussi du mal à sensibiliser la société civile et pourtant les associations, les collectivités et l’état se mobilisent. Je pense par exemple à des programmes ambitieux comme la stratégie nationale biodiversité à l’horizon 2030. Depuis la crise sanitaire, il y a quand même une prise de conscience des élus locaux et nous pouvons voir qu’il y a une démarche pour intégrer la biodiversité dans les décisions. Mais nous pourrions faire tellement plus…certaines choses ne coutent rien et feraient une différence, pourquoi ne pas équiper chaque nouvel immeuble construit de gite à chiroptères et de nichoir à passereaux par exemple ?
Comment convaincre tous ces acteurs ?
Il y a déjà une posture philosophique sur le vivant, sortir d’une vision anthropocentrée. On peut se poser la question du droit de vie de toutes les autres espèces. Si on les considérait davantage pour ce qu’elles sont, on leur prêterait peut-être davantage attention. Un autre aspect c’est cette biodiversité qui nous est utile. Pourquoi ne pas s’appuyer encore plus sur les services écosystémiques si cela peut être un levier. Pour cela, il faut utiliser des exemples concrets : les mésanges prédatent la chenille processionnaire et les ravageurs de cultures, les chauves-souris mangent plusieurs milliers de moustiques par nuit…
Quels sont principaux rôles et activités exercées par la DREAL au niveau de la filière professionnelle de l’écologie et la Biodiversité ?
Nous accompagnons les projets et porteurs de projets, quels qu’ils soient. Cela peut être des documents d’urbanismes, des éoliennes, des routes, des usines… Nous essayons de faire en sorte que les projets aboutissent, mais ils doivent être accompagnés très en amont pour que les aménageurs imaginent leurs projets en tenant compte des enjeux environnementaux. À ce titre, nous essayons de conseiller. À partir de l’automne, nous allons organiser un webinaire pour les maitres d’ouvrages et leurs bureaux d’étude pour réaffirmer ce qu’est une espèce protégée, comment la prendre en compte, comment bien faire des dossiers. L’ambition est de ralentir les délais d’instructions en évitant les aller-retour entre le pétitionnaire, le bureau d’étude et nous. La clé, c’est un dossier bien argumenté qui ne nécessite pas de demandes de complément. J’aimerais même aller plus loin et proposer que les bureaux d’étude soit certifié, ce qui permettrait la garantie d’un dossier complet et convainquant. Je sais qu’il existe déjà une charte de la profession, mais nous avons envie d’aller plus loin.
Arrivez-vous vraiment à travailler très en amont sur les projets pour maximiser l’évitement et la réduction ?
Dans la majorité des dossiers, on sent encore trop que certains pétitionnaires n’ont pas bien consulté avant d’imaginer leurs projets. Les faire revenir en arrière sur ce qu’ils ont imaginé depuis un an c’est très compliqué. Notre réponse est simple : ne commencez pas un projet sans nous consulter. Nous allons encore beaucoup trop à la compensation. On pourrait très bien imaginer qu’un maire d’une commune qui souhaite accueillir une zone d’aménagement demande aux services instructeurs où la mettre et de quelle façon. Un autre moyen d’anticiper est de sécuriser des zones naturelles comme des zones humides dans les Plans locaux d’urbanisme (PLU).
Comment concilier la hausse des aménagements et des sols vivants ?
Nous avons une loi ambitieuse qui est le zéro artificialisation nette. Nous sommes en train de préciser les modalité de sa mise en œuvre. Mais nous devrons nous tenir à ces objectifs. Le fait de contraindre à réduire le rythme d’artificialisation va pousser à construire la ville sur la ville ou sur d’anciennes friches. Ça va couter plus cher, mais ça sera plus écologique. Auparavant, nous n’avions pas vraiment de levier.
Quelle est l’action la plus emblématique dont vous êtes le plus fier ?
Grâce au plan de relance, nous avons pu bénéficier de cinq millions d’euros pour des projets de restauration écologique. En effet, depuis un an et demi, la DREAL Occitanie s’est engagée dans des projets de restauration de la biodiversité dans 5 sites par département, donc 65 sites en Occitanie. Les sites ont été choisis de concert avec les préfets, les DDT, l’OFB, les agences de l’eau, le CEN, les conservatoires botaniques, etc.. Avec ces projets, nous avons montré qu’il est possible de sortir de la vision contraignante de l’écologie, puisque ces restaurations ont créé beaucoup de travail pour des entreprises, mais surtout ont enthousiasmé les habitants, les élus. Dans les Pyrénées orientales, par exemple, une ancienne décharge aux abords d’un cours d’eau libérait ses déchets à chaque crue, donc des déchets plastiques qui se retrouvaient en mer. Pour ce chantier, nous avons pu mobiliser 900 000 euros, à la hauteur de l’enjeu.
D’autre part, j’aime à dire que nous arrivons à éviter des dérogations de destruction d’espèces protégées. Cela veut dire que le projet a été amélioré pour éviter ces destructions. On voit donc bien que c’est possible. Dans ma direction, nous gérons aussi la qualité et quantité de l’eau. Je pense notamment aux captages d’eau potable, où nous avons réussi à améliorer la qualité des eaux brutes avec la volonté des agriculteurs et viticulteurs. Il y a eu des démarches exemplaires de réduction d’utilisation des produits phytosanitaires qui ont grandement amélioré la qualité de l’eau et des sols. Mais il y a encore beaucoup à faire et beaucoup de moyens d’animation à consacrer.
Quel est votre rapport à la nature ?
J’aimerais que les médecins puissent faire des prescriptions auprès des personnes dépressives ou tristes pour les inciter à s’immerger quelques jours dans la nature et au sein de nos espaces naturels remarquables. Cela fait un bien fou, ça ressource, ça apaise et ça émerveille.
Propos recueillis par Théo Tzélépoglou (Journaliste Scientifique – Ingénieur Écologue – Photographe)
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