Philippe Jarne, est directeur de recherche au CEFE au sein de l’équipe de génétique et écologie évolutive. Il nous présente le défi clé de la région BiodivOc dont il est responsable, et nous partage sa vision de l’écologie appliquée en étroite collaboration avec le monde de la recherche.
« BiodivOc : favoriser une recherche intégrée en lien avec la gestion de la biodiversité. »
Pouvez-vous vous présenter succinctement ainsi que vos principales missions ?
Je suis chercheur au CNRS depuis 30 ans, j’ai une formation de généticien des populations. Je travaille sur la biologie évolutive et l’écologie en même temps. J’ai eu de nombreuses fonctions collectives d’animation, j’ai été directeur du CEFE, le laboratoire auquel je suis rattaché, puis j’ai animé le LabEx CEMEB pendant sept ans. Je travaille désormais sur défi clé à l’échelle de la région qui s’appelle BiodivOc.
Qu’est-ce que BiodivOc, et pourquoi soutenir le salon national de l’écologie sous cette bannière ?
D’ordinaire, la région finance la recherche par l’activité économique prioritairement. Elle a financé des bâtiments grâce au CPER (accords avec l’État), mais aussi des appareillages et des allocations de recherche. Avec ces défis clés, la région voulait financer de la recherche plus fondamentale en lien avec la gestion de la biodiversité. Ils ont donc sollicité des communautés pour mettre en place quatre défis clés : un sur la biodiversité (BiodivOc), un sur les maladies vectorielles émergentes (RIVOC), un sur l’hydrogène vert et un sur le quantique. BiodivOc est un défi clé que nous allons présenter au salon, il vise à favoriser une recherche plus intégrée, développant les liens entre la science fondamentale et la gestion de la biodiversité.
BiodivOc a reçu deux millions d’euros pour 1 500 chercheurs pour lancer des projets dont l’objet à un intérêt régional. Nous avons donc lancé deux projets pilotes de 40 000 euros par projet et des projets consortium à plus de 300 000 euros, avec une condition, il fallait que chaque projet implique deux universités différentes pour favoriser les collaborations. Il était aussi possible d’impliquer des associations, et petites entreprises. Tous les projets en cours portent sur la région, ce qui est étonnant pour une communauté scientifique internationale. Il y a également une nouvelle collaboration entre chercheurs ou structures pour 60 % des projets. L’objectif de structurer a donc bien fonctionné. Le dernier aspect surprenant c’est qu’il y a au moins 25 structures impliquées qui ne font pas de recherche comme la LPO, l’OFB ou de petites entreprises. Avec ce défi clé, il y a donc un effet d’étalement et de collaboration avec le monde de la gestion de la biodiversité. Cela donne des opérations visibles et lancées rapidement.
J’ai bien suivi l’ancêtre du salon national de l’écologie, puisque le CEFE fut le premier financeur des salons régionaux depuis leur création en 2009. J’ai été président du conseil scientifique du salon plusieurs fois pour aider à construire le programme. Nous trouvions intéressant de porter la voie de l’écologie pour le grand public, mais aussi pour la communauté en écologie et évolution qui grandissait rapidement à Montpellier et qui s’intéressait à l’écologie appliquée. À mon sens le salon devait avoir un écho beaucoup plus large, c’est chose faite avec l’édition de cette année.
Quelles sont vos principales attentes dans ce salon ?
Nous souhaitons que BiodivOc serve d’attracteur pour de futurs projets. Pour l’instant trois ou quatre thèses ont été financées grâce à ce défi clé. Nous souhaitons également mettre en place une animation scientifique pour chacun de ces projets. Pour cela, nous allons participer à un stand de l’université de Montpellier où nous projetterons de petits films qui présenteront nos projets pilotes et consortiums. Nous souhaitons également profiter du salon pour réaliser une demi-journée de création de projets. Pour cela, nous travaillons avec la maison des sciences de l’homme, la LPO, le labex CEMEB, et l’agence régionale de la biodiversité (ARB), pour essayer d’émuler des projets de réponse de la recherche à la gestion de la biodiversité de manière assez directe. En ce sens, nous avons envoyé des questionnaires à des structures comme les parcs et les réserves pour connaître leurs besoins. Durant cette demi-journée, par la discussion avec le public, nous souhaitons faire remonter des questions précises qui pourraient être saisies par la recherche.
À titre personnel, je souhaite aussi que le salon soit une tribune et un vecteur pour toucher un public beaucoup plus large que les personnes travaillant dans le domaine de l’écologie. Est-ce que nous allons arriver à sensibiliser ? Comment toucher le grand public chez qui pour certains, l’écologie est toujours punitive ? Le salon peut avoir ce rôle pédagogique. Cela peut passer par un professeur qui viendrait avec sa classe par exemple.
Quels sont les principaux rôles et activités exercées par BiodivOc au niveau de la filière professionnelle de l’écologie et la Biodiversité ?
L’agence régionale de la biodiversité (ARB) nous sert de relais. Nous essayons donc de travailler avec des organismes parapublics, des entreprises, des associations, et peut-être pourquoi pas participer à la création d’entreprises qui travaille dans le domaine de l’environnement par des missions de conseil.
Quel rapport entre la biodiversité et des sols vivants ?
Un sol vivant c’est un sol dans lequel il y a de la biodiversité, donc des animaux, des racines de plantes, des mycorhizes, des bactéries… Les sols ont des fonctionnements complexes, mais ce dont nous sommes certains c’est qu’un sol qui permet d’absorber à la fois l’eau et la chaleur, c’est un sol qui est vivant et non pas un sol qui a été travaillé par des tracteurs, chargés en minéraux et avec une biodiversité pauvre. Des sols nus une partie de l’année ne captent que très peu de carbone. Il faut donc réfléchir à un autre modèle agricole, d’alimentation et de production. À défaut de le faire par réflexion, nous allons être obligés de le faire à cause de la sécheresse, car nous sommes au pied du mur.
Le modèle agronomique classique a essayé de penser les champs comme une grosse boîte de pétri. Un sol le plus homogène et stable possible, des intrants pour que ça pousse vite et une seule culture. Le problème c’est que dans la nature le système est plus complexe et les demandes en eau et pesticides deviennent vite problématiques.
Comment concilier les enjeux de BiodivOc avec la hausse des aménagements sur notre territoire qui artificialisent ces sols ?
Notre rôle c’est d’essayer d’amener les aménageurs à réfléchir plus vert. C’est repenser la ville pour qu’elle contribue moins au changement climatique et s’y adapte mieux. Nous avons un projet assez fondamental sur la réponse des sols au changement climatique. Dans la région, nous avons des écosystèmes très différents : montagne, garrigue, littoral, culture… Ce projet consiste à mener une analyse comparative de ces sols sous contrainte climatique. La vision se veut assez large, vu qu’on souhaite prendre en compte différents aspects du sol, donc avec une vision intégrative.
BiodivOc pourrait aussi lancer des animations scientifiques sur la ville de demain. Actuellement tout ce qui relève de l’urbanisation montre bien que l’écologie est peu prise en compte. Il y a des constructions partout et l’idée de faire des îlots verts est quasi inexistante.
Quelles sont les actions emblématiques dont vous êtes fier ?
J’essaie d’œuvrer à faire un rapprochement entre la recherche et la gestion de la biodiversité depuis longtemps, et la communauté est mûre pour ça maintenant. J’ai aussi travaillé avec des acteurs du monde de l’agronomie pour faire passer des idées plus écologiques. Quand j’étais étudiant, c’était impensable de mixer ces deux domaines, et aujourd’hui ça devient possible, même si le système agricole n’a pas beaucoup évolué depuis 50 ans.
Quel est votre rapport personnel à la nature ?
Je ne viens pas d’un milieu proche de la biodiversité, mais j’ai été sensibilisé par des instituteurs écologistes. Toutes les semaines, nous allions étudier la biodiversité dans un étang. Je voulais faire de la recherche, car j’ai une vision assez intellectuelle, mais cet aspect d’écologie pratique naturaliste ne m’a jamais quitté. Ma vision du monde est marquée par cette vision évolutive, trop sous-estimée, et l’écologie dans le sens de la relation de l’homme avec la nature.
Propos recueillis par Théo Tzélépoglou (Journaliste Scientifique – Ingénieur Écologue – Photographe)
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