Interview Patrice Valantin – Union professionnelle du génie écologique (UPGE)

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Patrice Valantin est directeur de l’Union professionnelle du génie écologique (UPGE). Il nous livre une vision personnelle franche et sincère du génie écologique et de la collaboration de l’UPGE avec AdNatura.

« Cela fait des années que je rêve d’un salon national de la biodiversité et du génie écologique » 

Pouvez-vous vous présenter succinctement, quel est votre rôle au sein de l’UPGE ?         

Je suis entrepreneur en génie écologique depuis 2002. À l’époque, c’était un marché très peu développé. J’avais une entreprise nommée Dervenn qui avait la particularité de réaliser les études et travaux, que j’ai ensuite quitté en 2016, car à mon sens, réparer la nature n’a aucun sens tant que l’on continue à l’abimer comme on le fait aujourd’hui. On ne pourra jamais la réparer au rythme où on la détruit donc j’en suis arrivé à la conclusion simple qu’il n’y avait qu’une seule solution, la révolution. Un monde basé sur la compétition ne peut pas bien s’entendre avec un monde basé sur la coopération, ce qui est le cas des écosystèmes. On a donc développé Reizhan, une entreprise qui vise à réinstaurer l’économie dans le fonctionnement des écosystèmes. J’ai aussi un centre de formation qui fait des études et de la formation pour les jeunes afin de leur apprendre à construire l’avenir à travers des compétences humaines et techniques. 

En ce qui concerne l’UPGE, je l’ai fondé en 2009, à une époque où le terme génie écologique était très peu utilisé. Sur le terrain on parlait d’entretien du patrimoine naturel ou des espaces naturels, soit davantage des termes de conservation que d’associations avec le vivant. Les marchés publics étaient peu réglementés et cadrés, et cela donnait lieu à du n’importe quoi. On a donc créé l’UPGE avec  la volonté de structurer la filière et de lui donner une existence réelle. Pour cela on a développé une norme à l’AFNOR en concertation avec des associations, entreprises, et universités. Elle porte sur la conduite de projet en génie écologique. À la base l’UPGE n’était composée que d’entreprises de travaux, et puis à partir de 2011 nous avons ouvert les adhésions aux bureaux d’études en maitrise d’œuvre.  Plus tard on a ajouté les fournisseurs de matériaux, les boites de travaux publics, etc. 

Aujourd’hui l’UPGE comprend 100 entreprises, avec la moitié spécialisée en maitrise d’œuvre et génie écologique et l’autre moitié dont le génie écologique n’est pas l’activité principale comme l’ONF par exemple. Cela comprend environ 75% des acteurs de la biodiversité. 

Vous dites que nous ne sommes pas dans une logique de conservation, vous avez quitté votre entreprise et pourtant vous êtes président de l’UPGE, comment expliquez-vous cela ? 

Je n’ai pas quitté mon entreprise pour des raisons morales. Je n’avais plus le temps de m’en occuper, mais surtout, car j’estime que ce que l’on fait n’est pas suffisant. Le génie écologique ne résout pas le problème s’il se concentre uniquement sur la réparation du vivant.  Par ailleurs, on voit souvent les bureaux d’études comme des facilitateurs d’artificialisations des milieux. Mais tout est artificialisé en France, et la vraie question c’est l’équilibre global des écosystèmes. Je ne parle jamais d’impact, car  je pense que c’est une mauvaise approche, la biodiversité est basée sur l’impact. L’approche gain net de biodiversité, ou non-perte nette de biodiversité est impossible, ça ne se mesure pas la biodiversité. À partir du moment où on a un aménagement, on a un autre équilibre. Après est-ce que le nouvel aménagement produit les mêmes services, en général ce n’est pas le cas, mais prétendre que par la compensation on va avoir une non-perte nette c’est une erreur scandaleuse.  

Le problème de la méthode éviter-réduire-compenser (ERC), indépendamment du fait qu’on va encore trop rapidement à la compensation, c’est que l’on ne travaille que sur des listes d’espèces et pas sur des fonctionnalités. L’essentiel des espèces menacées l’est à cause du système agricole. Quand on souhaite préserver des espèces menacées par la création d’une autoroute, il faut bien voir qu’elles étaient menacées à cause du système agricole en premier lieu. Ce qui est important ce sont les fonctionnalités, la diversité des espèces et des milieux et les services écosystémiques, et je ne les réduis pas à ce qu’il apporte à l’humanité. La méthode ERC n’est pas suffisante et ne résout pas le problème. Elle prétend donner bonne conscience. Avec cette idée de non-perte nette, on finit par penser que c’est neutre ; or ce ne sera jamais neutre.  Je pense qu’il faut changer le système économique, c’est ce que j’appelle la révolution, avec des activités économiques qui optimisent les services écosystémiques. Ça existe déjà : le bocage découle des activités humaines et abrite une biodiversité plus grande que la forêt, et pourtant c’est totalement artificialisé. L’argent de la compensation pourrait être mis pour changer le système agricole, en accompagnant des agriculteurs et en compensant leur perte de revenu du à leur transition de pratique par exemple. 

Pourquoi l’UPGE est partenaire du premier salon national des professionnels de l’écologie et de la biodiversité, AdNatura et quelles sont vos principales attentes de ce salon ? 

D’une part, historiquement beaucoup de membres de l’UPGE travaillaient avec son ancêtre plus local, le salon de l’écologie. Deuxièmement, cela fait des années que je rêve d’un salon national de la biodiversité et du génie écologique au niveau de la filière. Notre but est de gérer la relation de l’homme avec la nature et il n’y a pas de salon comme cela. Je voudrais qu’AdNatura soit un salon de référence sur des entreprises, dont la finalité, et de changer le système économique et non pas faire de l’argent sur le dos de la biodiversité. Même si que l’on s’entende bien, une entreprise doit forcément gagner plus d’argent qu’elle n’en dépense.  Nous avons le devoir de communiquer sur ce qu’est la vie, pour arriver à un changement radical de modèle économique, sans lequel ça ne sert à rien de réparer la nature puisqu’on la détruira toujours plus vite. 

Quand je parle de révolution, ce n’est pas détruire le système, c’est le changer ! Il faut bien qu’il y ait des gens qui maintiennent le système le temps qu’on en construise un nouveau. Il faut une radicalité, mais en même temps une certaine modération pour ne pas détruire trop vite le modèle. 

Quels sont principaux rôles et activités exercées par l’UPGE au niveau de la filière professionnelle de l’écologie et la biodiversité ? 

Nous faisons partie des ambassadeurs de la vie, nous faisons l’interface entre un monde déconnecté des réalités du vivant, et les institutions. Dans le cadre de l’objectif zéro artificialisation net (ZAN), nous sommes force de proposition. Par exemple,  y a quelques années un arrêté sur les zones humides est sortie. S’il faisait jurisprudence, il supprimait les statuts de 1/3 de zones humides de France.  On l’a diffusé massivement, et en trois jours tous les bureaux d’études de France se sont coordonnés et ont envoyé une note au ministère qui a fait changer les choses. Nous avons donc un rôle de conseiller technique. 

Enfin on a comme mission de structurer la filière via la norme, de travailler sur les certifications et les homologations. 

Quelle est l’action la plus emblématique de l’UPGE dont vous êtes le plus fier ? 

La norme AFNOR. Cette norme, au-delà de l’aspect technique du génie écologique, c’est vraiment une méthodologie de conduite de projet. On peut par exemple appliquer la norme de génie écologique sur la construction d’un lotissement, car c’est un habitat naturel pour une population spécifique qui est l’espèce humaine. Cela donnerait une approche complètement différente de l’urbanisme. 

Quel est votre rapport personnel à la nature ? 

J’emploie peu le terme nature, et dans mon entreprise le terme environnement est interdit. Je parle de vie ou de système vivant. La nature est une représentation culturelle qui est différente pour un agriculteur ou pour un citadin. Je me sens immergé dans mon rapport aux systèmes vivants et je pense qu’en tant qu’humain nous avons une responsabilité que n’ont pas les autres espèces. Elles peuvent avoir une culture, une organisation sociale, des stratégies, de la technique, mais elles n’ont pas notre capacité de conceptualiser quelque chose qui n’existe pas ou de rêver.  Ça nous permet de faire du bien ou du mal. Je me sens donc responsable de l’ensemble du vivant, c’est pour moi un devoir que je prends avec humilité. 

Propos recueillis par Théo Tzélépoglou (Journaliste Scientifique – Ingénieur Écologue – Photographe)
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